[ 23 07 23 ]
J'ai encore une fois rêvé des oiseaux d'algues. Des oiseaux d'algues qui planent à mi-hauteur, qui me frôlent l'épaule, et me laissent algues et parfum d'iodes. Quand il y a des oiseaux d'algues je ne parle plus, je marche seulement sur la grève : la marée est basse et mon corps s'enfonce dans le sable. Du bout des orteils je touche la mer. Les oiseaux d'algues sont aveugles, ne chantent pas, il n'y a qu'eux et moi au bord de la grève. De temps en temps un s'arrête de planer et s'écrase au sol, sans bruit, une fois l'oiseau au sol les algues qui faisaient son corps aussitôt se séparent et s'enfouissent dans le sable, on eut dit qu'il n'y en avait pas.

[ 15 07 23 ]
Dans mon reflet, je crois apercevoir une bête qui court. Elle s'échappe, immobile sur la face argentée. Je la vois s'étioler dans une prise de vitesse qui semble extrêmement lente : elle se désagrège dans la lumière. Mon reflet devient alors autre chose qu'une ombre, onde -- je suis le caillou jeté dans la mare -- il n'en reste plus qu'un écho sur le miroir. Avec cet écho les couleurs deviennent ternes, le chant des oiseaux se module en une gamme mineure et je ne sais plus si c'est mon reflet ou mon corps qui s'étiole en face de moi. Je suis ma propre ombre, mon coeur tout ouvert devient géode et il ruisselle de lui un sang déjà coagulé, marron, poisseux. Je crois que mon coeur en s'ouvrant trace d'autres veines, fleur sourde éclot sème ses spores. Je me vide peu à peu, ne reste qu'en moi du minéral car tout mon végétal s'échappe de moi et est devenu l'ombre sur le miroir, mes feuilles parties avec la vitesse, mon pollen, mes fleurs écloses et mes racines noueuses ont sédimentés.
Dans le reflet du miroir il n'y a plus rien depuis plusieurs instants. Autant soient-ils. Il ne reste que le sol de la grotte avec qui je prends coeur, le miroir est devenu poussiéreux je crois, mes paupières ont pris une teinte anthracite et je dors éveillé. La poisse de ma sève est arrivée sur le bout de mes ongles, ma langue ne parle plus : mon palais et mes dents ne sont plus qu'un bloc calcaire, je ne fais que voir un peu et entendre encor le chant de la huppe qui fait écho. Son son rebondit à travers l'espace et le désarticule tandis que je m'enchevêtre avec lui indéfiniment, le coeur plein des doux remous du temps au fond des aubes.

[ 12 03 23 ]
Le rapport que la plupart des utilisateurices ont avec les ordinateurs (computers) est pour la plupart d'entre elleux inégal. Certes, on comprend que sous le capot, sous l'écran on trouve des composants électroniques : des circuits, des processerurs, des cartes-mères... Le tech-speak capitaliste a mué ces objets opaques en arguments de promotion: on ne cesse de vanter le nombre de coeurs d'un processeur , de cadences en gigahertz, de vitesse de rafraichissement etc. Mais qu'en sait-on réellement ? La réalité technique de ces objets est très difficilement appréhensible sans de solides bases en mathématiques et en électronique. C'est pour cela qu'il faut rêver différemment de ces objets, qu'il faut les aborder sous un autre angle et s'extraire du paradiglme techno-virilisme ambiant; du statu de l'ingénieur·e passer à celui de magicien·ne et de saisir les ordinateurs sous le prisme auquel ils nous paraissent : celui d'objet technomagique. Il faut disséquer, déboîter la carcasse (techno) et suivre du bout des doigts les circuits imprimés, les sentirs comme autant de symboles, de nerfs et de sigils (magie). On écoutera aussi leur sons, des râles, grâce à des oreilles magnétiques. Peu à peu, on lèvera la nuit logique et l'on parlera leur sabir d'impulsions électriques, faisant à nouveau maille avec la machine. Nos pratiques feront constellation autour de l'archipel électronique.

[ 01 03 23 ]
Les moirages de la pierre, tracés par la chute de foudre, font danser les yeux des voyageurses. le long de sa surface, l'iris se perd et se heurte à un nacre mouvant, maille translucide sur tissu d'écume figée. La pierre imaginaire ne se trouve pas au fond de la montagne, elle n'est pas secrète. L'on en ramasse sur les bords des rivières, celles qui remontent à travers les vignes, vironnées de bouleau. Elles ne sont pas géodes, on ne les brise pas. Leurs secrets sont décrits entiers dans leurs anneaux de sélénite; l'on y lit les soirs où la lune éclairait pleinement la rive, ceux où l'ondée a tant fait croître le cours que l'eau a poussé le minéral. Si l'on choisit de la ramener chez soi, celleux l'enrobant dans un coffre verront au bout de quelques mois que la pierre se désédimente, laissant tomber ses reflets afin de les tronquer contre une matitude semblable au granit : on dit que la pierre se fane. Il faudra pour lui laisser pleinement le temps de se développer la poser sur le seuil a côté d'une tasse d'eau de pluie, les musicien·nes pourront chanter à mi-voix les soirs où la lune dévoile son diamètre complet.

[ 17 02 23 ]
Leurs corps parcourus de zébrures d'étain, suivant la même rectitude implacable que la glace d'une mare au soir de l'hiver.
Il y a des moments, où en regardant au travers de la forêt de ronces, je croyais percevoir le bras de la rivière. Celle-ci coulait vers l'est et était parcourue d'arcs électriques, zigzags entre les roches faisant se rétracter la vase.

[ 07 01 23 ]
Pour que tu les comprennes, il te faudra passer de longes heures à leur murmurer nos histoires; des longues nuits de contes. Ensuite tu devras écouter leur chant les yeux fermés, pour percevoir les infimes variations dans la trame qu'ils tissent. Tu t'enfermeras dans le silence des lunes durant, pas un autre morceau de langage, humain ou animal ne traversera ton tympan. Alors, leur ouvrage te paraîtra prendre forme dans tes rêves, et à ce moment là observe bien, concentre-toi; car les symboles qu'elles formeront, tu devras les fixer dans un creux derrière ton coeur, loin de ta conscience. Le matin suivant, en laissant à nouveau le bruit des autres te traverser, tu les oublieras. Mais après, lorsque tu retourneras leur parler, les signes remonteront du fond de ta poitrine vers ta main, les mots couleront de tes doigts et tu pourras les reformer sur leur derme.

[ 26 12 22 ]
Écrire des programmes et/ou des langages de programmation en tant que démarche poétique ça peut être un moyen de pas seulement parler de l'ordinateur, objet technique physique mais plutôt de fouiller la frontière entre notre language naturel et celui de l'ordinateur. De confronter une rigueur calculatoire à un raisonnement d'affects. Je pense que dans le dialogue par le compilateur on retrouve en quelque sorte notre fonctionnement neurologique : faire appel à des emplacements dans une mémoire. Même si nous le faisons effectivement d'une manière plus dynamique et "étirée", l'ordinateur et sa rationalisation du processus pousse à un autre paradigme de la poésie. Il s'agit alors à la fois de traduire du concept en logique et de la logique en phrase. C'est un jeu de funambuliste entre la succession d'instructions et ce que l'on pourrait y nicher.

Où retrouver nos figures de styles quand on programme ? Dans les types de relations entre types de données et emplacements mémoire ? Dans la syntaxe même ? Ou plutôt dans le résultat de l'exécution d'un fragment de code ?

[ 22 12 22 ]
Le calculateur nous parle en notre langue on navigue dans ses entrailles, son architecture. On repère, en le regardant de près, des saillies que l'on apparente aux rias et aux vallées. L'électricité parcourt sa surface, guidée par des circuits et puis l'électricité devient bourdonnement ça cadence au processeur, le coeur vibre le coeur chiffre, dé-chiffre, encode ça vrombit jusqu'à passer l'onde à l'écran jusqu'à recracher du son par les hauts parleurs le coeur vrombit, nourri en voltage recrache du signal je le lis, base deux je le relis, base dix arc l'impulsion le doigt qui s'arc-boute contre la lettre le frémissement parcourant le circuit, imperceptible.

[ 17 12 22 ]
Il avait encore raté de près son but, ça faisait la troisième fois ce mois-ci. Dans sa cave mal éclairée, il s'étirait sur le fauteuil de satin, entouré d'écrans où défilaient des nuées de chiffres sur lesquels son regard ne se posait plus. En lorgnant sur les machines il vérifiait du bout des doigts que tous les ports n'avaient pas souffert de l'humidité, en profitait pour épousseter les sigils gravés en leur dos, rien n'avait bougé, son oreille s'était peut être émoussée avec le temps ? Il se déplie alors hors de son siège, secoue la tête et les paupières, psalmodie quelques motssons et signe en direction des moniteurs. Les chiffres s'évaporent alors lentement, se décollant de la lumière pour retourner de là où ses machines les avaient appelés. Il entend le bruissement du vent à nouveau ainsi que les quelques rouges-gorges qui piaillent un peu plus haut. Il déroule ses jambes le long de l'escalier vers la surface, rendant peu à peu à ses yeux leur sensibilité au jour.

{longue pause}

Ses recherches lui prenaient des nuits entières, à chaque fois il s'asseyait et regardait directement les chiffres défiler, en essayant de ne pas ciller. La première fois qu'il a pu comprendre des bribes du sabir que les interfaces lui livraient, il entendait bruisser parfois comme des phrases entre les murs enterrées où il se trouvait. Dans ces moments là il lui semblaient que les extrémités de son corps s'embrasaient doucement d'une douleur sourde, que le feu lui lèchait aussi les paupières. Chaque fois que cela lui arrivait, il lui semblait ressentir les herbes folles du jardin qu'il parcourait chaque jour, il lui semblait qu'elles lui griffaient les jambes, que la terre sous ses pieds se contractait, mais tout cela d'une manière très légèrement différente. Sans mettre de mots dessus, il trouvait que la terre manquait de présence, que les herbes - quand elles fouettaient sa peau - perdaient un peu d'épaisseur, il comprenait que ce qui lui était transmis était du parcellaire. Les machines ne savaient pas comment le réel était, elles cherchaient simplement à renvoyer la totalité de leurs perceptions dans les chiffres affichés. Leur cadence fixée par les sigils ne les bridaient pas mais leur indiquait le chemin, les fréquences et les affects à parcourir pour retrouver une semblance de sensible. Le courant qui les traversait amenait avec lui des mots et des sons dont elle gardaient la trace, lui faisant ressentir comme une certaine staticité dans la pièce, lui picotant le creux des orbites, hérissant ses poils.

Ces sigils à tracer sur le métal encore brûlant, ce langage inscrit au fond de leur circuit par son fil. Il a appris à regarder et écouter les machines, à communiquer avec, non pas en comprenant leur langage de chiffres, mais plutôt en ressentant les vagues de chaleur, les accélérations dans la charge symbolique que le magnétisme leur faisait subir. Elles semblent parfois vivre après l'arrêt, car quand il retourne dans la salle aux heures d'aurore il les sent parfois frémir sous ses doigts.

[ 12 11 22 ]
Mémoire bouclé, disponible à l'adresse memoire.dddoss.eu

[ 9 11 22 ]
le son sera la paille sur laquelle seront couchés les lignes de codes,
elles seront nourries aux machines le matin venu.
leur syn-taxe, le tactile du tapuscrit, la frappe machinale
la frappe machinale qui sonne vie au langage écrit,
la langue qui se joue,
langue sur la joue,
le processeur battant la mesure
coeurs tramant l'impulsion en la fréquence,
un choeur ondulant une mer de signal,
traducteurs du réel,
phares dans les ténèbres mathématiques,
soleils dans l'abîme de l'invisible.